Malgré les nombreuses révélations faites dans la presse sur les pratiques de corruption, de détournements et d’enrichissements illicites sous la gouvernance de la transition militaire en cours, la justice guinéenne visiblement aux ordres de la junte, brille jusque-là par son indifférence. Les multiples dénonciations faites par des activistes de la société civile auprès de la Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières (CRIEF), contre des hauts cadres de la transition, ont toujours été classées sans suite. Aly Touré, le procureur spécial de cette juridiction qui agit de manière très spéciale, ne voit jamais la corruption dans la gouvernance du CNRD, mais plutôt sous la gouvernance d’Alpha Condé et du Général Lansana Conté.
Depuis maintenant 3 ans, des autorités de la transition s’illustrent dans des pratiques de corruption, d’enrichissement illicite et de détournement de deniers publics. Cela passe notamment par des contrats de gré à gré, l’emploi des sociétés anonymes, des projets de rénovations suspicieux à des coûts trop souvent élevés, etc.
Il s’agit notamment du cas de l’ancien directeur général de la Société Nationale du Pétrole (SONAP) ; l’affaire audio-gate au ministère des infrastructures, le dossier ZMC au ministère de la santé, les contrats de rénovations de la maison centrale ; de la résidence de l’ancien PM ; du Ministère des postes et télécommunication, etc.
Alors que ces affaires ont été classées pour la plupart sans suite, par le procureur du CNRD à la CRIEF, d’autres cas de soupçons de corruption et de détournement font surface. Les hauts cadres cités ne sont autres que ceux qui tiennent la gestion économique et financière du pays. Il s’agit notamment de Moussa Cissé, ancien Ministre du Budget, en suite de l’Economie et des Finances ; Karamo Kaba, gouverneur de la Banque Centrale de la République de Guinée (BCRG) et Mourana Soumah, l’actuel Ministre de l’Economie et des Finances.
Selon un article de presse de notre confrère Abdou Latif Diallo, Moussa Cissé et Karamo Kaba, avaient réussi à développer un business de vente de devises avec des cambistes de la place. Un montant de 30 milliards aurait été indûment transféré à Dubaï dans les Emirats Arabe Unis. On parle également de pot de vin dans une opération d’impression des billets de banque. Un fait inédit !
Selon nos sources, Karamo Kaba, gouverneur de la BCRG, aurait été entendu pendant plus de 48 heures à la direction des renseignements au camp Samory Touré avant d’être reçu par la direction centrale des investigations judiciaires de la gendarmerie nationale le mardi 10 septembre 2024, jusqu’à tard la nuit.
Parallèlement à cette procédure, l’ancien Ministre des finances Moussa Cissé, en sa qualité de directeur général de la SONAP, a aussi été suspendu à la suite d’une réunion du conseil d’administration de la société avant d’être remplacé ce mercredi soir par le chef de la junte, Mamadi Doumbouya.
Au-delà des deux cadres, des fourmis sont également dans les jambes de Mourana Soumah, l’actuel Patron du département des finances publiques. Lui qui n’a pas hésité de conclure tout récemment un accord « secret » à caractère « douteux et frauduleux » au nom et pour le compte de l’Etat guinéen avec un consortium qui n’a aucune trace d’existence dans le monde. Des enquêteurs nous révèlent également qu’il serait lui aussi loin d’être un « bon élève » en matière de gestion financière.
Ce jeudi, de sources sure nous indique qu’il est en train d’être auditionné en ce moment à la direction des investigations de la gendarmerie nationale.
Cette situation qui discrédite de facto la gestion de la transition, devrait amener ces hauts cadres soupçonnés de corruption, à rendre eux-mêmes le tablier et chercher à se blanchir devant la justice.
Aujourd’hui, plus aucun guinéen consciencieusement, ne fonde espoir et sur le CNRD et la CRIEF pour lutter contre la corruption. Il faut juste s’attendre à des réactions de la part des partenaires financiers qui attachent du prix à cette cause. L’économie guinéenne risque de prendre un coup et la population paiera le lourd tribut.
Pendant ce temps, des anciens ministres et hauts cadres du régime d’Alpha Condé, croupissent en prison depuis plus de 2 ans sans aucun mandat, notamment pour des faits présumés de corruption. Parmi eux, figurent l’ancien Premier ministre Dr Ibrahima Kassory Fofana et l’ancien Président de l’Assemblée nationale, honorable Amadou Damaro Camara.
Ces anciens compagnons d’Alpha Condé sont privés de liberté et leurs comptes en banque restent bloqués par la junte sans aucune décision de justice.
Or, à la CRIEF, pour certains, des décisions ont été prononcées et confirmées pour « délit non constitués », devant la chambre de l’instruction et celle du contrôle de l’instruction. Des ordonnances de mise en liberté ont été également faites à cet effet. Mais le Procureur spécial Aly Touré, refuse leur exécution et reste catégoriquement opposé à leur libération.
Pour d’autres, en raison de leur état de santé dégradant, des demandes ont été formulées pour leur mise en liberté conditionnelle, afin de leur permettre d’aller se faire soigner. A cela s’ajoutent des décisions de la Cour de justice de la CEDEAO. Le procureur spécial de la CRIEF n’entend pas appliquer ces décisions de droit. Il refuse de leur accorder la liberté, en dépit du fait qu’aucun élément de preuve n’a été exposé jusque-là pour soutenir les accusations portées à leur encontre.
Plus le temps passe, tout semble donner raison à des poursuites juridico-politiques. Ces anciens dignitaires, pour la plupart, font l’objet d’emprisonnement en raison de leurs ambitions et influences politiques. La junte étant dans la dynamique de confisquer le pouvoir, n’est visiblement pas prête à partager la scène politique avec qui que ce soit.
Les leaders politiques qui refusent de leur prêter allégeance, sont soit emprisonnés, soit poussés à l’exil comme c’est le cas pour l’opposant Cellou Dalein Diallo, ou de s’effacer carrément du débat politique guinéen.
Mamoudou Babila KEITA