Ce monstre que nous avons créé (Par Tierno Monénembo)

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C’est le seul domaine où nous excellons, nous autres, Guinéens. Nous fabriquons des dictatures avec le génie qu’y mettaient les pharaons à ériger des pyramides. Normal, me direz-vous, notre démagogie est sans pareil, notre esprit de soumission, sans limite.

Après Sékou Touré, Lansana Conté et les autres, voici donc notre nouveau despote ! Il s’appelle Mamadi Doumbouya et gare aux malotrus qui se hasarderaient à écorcher son nom ! Il a la mitraillette facile et les mystérieuses disparitions sont monnaie courante sous son soleil de plomb.

Comme ses prédécesseurs, c’est, goutte à goutte, qu’il a rempli le vase de son pouvoir absolu, pendant que nous faisions semblant de regarder ailleurs. Il a omis de dévoiler la liste de son CNRD, nous avons laissé faire. Puis, il a donné le nom de Sékou Touré à l’aéroport de Conakry sans demander notre avis. (S’agissant de ce dernier point, la question n’est pas de savoir si un personnage aussi sinistre et clivant que le garde-chiourme du Camp Boiro, mérite ou non, une place dans notre mémoire collective, mais de rappeler simplement qu’il ne revient pas à un petit putschiste de le décider).

S’étant ainsi convaincu du caractère inné de notre légendaire passivité, il pouvait aller plus loin, toutes griffes dehors. Il a nommé par décret le président du CNT, nous n’avons rien dit. Il a outrageusement franchi les limites que lui fixait sa fonction pour s’occuper des questions de fond comme un président normal et non plus comme un simple chef de la Transition.

Lui, l’intérimaire, il a créé cet horrible tribunal d’exception que l’on appelle CRIEF pour se mêler de choses qui ne le regardent pas : patrimoine bâti, corruption, grands chantiers, etc. Personne n’a osé lui rappeler qu’il n’était pas là pour s’occuper de courbe du chômage ou d’indice de développement, mais pour organiser des élections rapides et régulières en expédiant les affaires courantes.

Ayant pris de l’assurance, il a éloigné du pays les principaux leaders politiques et interdit le FNDC. Et voilà maintenant que le Général Sadiba Coulibaly est mort et que Foniké Mengué et Billo Bah ont disparu ! Et voilà maintenant que par la bouche des professionnels de la démagogie, le chef de la Transition est devenu le président de la République, ce qui équivaut à un flagrant délit d’usurpation de titre. Et encore une fois, nous n’avons rien dit.

Pourtant, nous savons d’expérience qu’ils sont tous comme ça, les dictateurs : ils commencent par vous arracher un ongle, puis un doigt, puis deux doigts, puis le bras tout entier. Mais bon, nous sommes des Guinéens : n’ayant jamais songé à tirer la leçon du passé, nous sommes condamnés à reproduire des Sékou Touré, à l’infini.

Le premier de la série a régné 26 sans discontinuer avec le résultat économique et humain que l’on sait. Le sixième n’en est qu’à ses débuts, mais pour combien de décennies devrons-nous encore le supporter ? Nous le disons parce qu’il est clair que nous ne sommes plus dans une logique de transition. Une transition de trois ans n’en est plus une, c’est presque un mandat présidentiel, un mandat présidentiel gratuit qui, plus est, et donc une escroquerie politique et morale.

Avec un minimum de bonne foi et un iota de compétence, on peut, en six mois, mener une transition à son terme et nulle gymnastique intellectuelle, nulle argutie technique ne pourra nous persuader du contraire. Les tyranneaux africains, on le sait, ne manqueront jamais d’arguments pour prolonger leur pouvoir criminel. Qu’on arrête donc de nous bassiner les oreilles avec de faux prétextes ! Le recensement, le fichier électoral, le projet de Constitution, le référendum, tout cela peut se faire en six mois, un an, deux ans, maximum quand on vise non pas la présidence à vie, mais le retour à l’ordre constitutionnel.

Mais trêve de dissertation, le mal est fait ! Le monstre que nous avons créé est lâché ! Personne d’entre nous n’échappera à sa furie.

Tierno Monénembo

 

 

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