Le premier signe que quelque chose n’allait pas était le bruit des aboiements des chiens.
Il était 2h30 du matin et il faisait noir dehors. Lorsque Husam Abdelgawi, un comptable de 31 ans de la ville libyenne de Derna, s’est levé et est descendu, endormi, pour vérifier si tout allait bien, il a senti de l’eau sous ses pieds.
Husam a ouvert la porte d’entrée de la maison qu’il partageait avec son jeune frère, Ibrahim. De plus en plus d’eau entra, arrachant la porte de ses gonds.
Les frères ont couru vers la porte arrière, où ils ont été accueillis par une « scène horrible et inimaginable, pire que la mort elle-même », a déclaré Husam lors d’un entretien téléphonique depuis la ville d’Al-Qubbah.
« Les corps de femmes et d’enfants flottaient devant nous. Des voitures et des maisons entières étaient entraînées par le courant. Certains corps ont été emportés par l’eau jusque dans notre maison. »
L’eau a également emporté Husam et Ibrahim, les emportant plus loin et plus vite qu’ils ne l’imaginaient possible. En quelques secondes, ils étaient distants de 150 mètres.
Ibrahim, 28 ans, a réussi à s’accrocher à des câbles électriques flottants encore attachés à leurs poteaux et à se ressaisir vers l’endroit où Husam était coincé. Les frères ont utilisé les câbles comme des cordes pour se hisser vers un bâtiment voisin et passer par une fenêtre du troisième étage, et de là, ils ont atteint un toit du cinquième étage où ils ont pu attendre la fin de l’inondation.
« La zone où nous nous trouvions était une partie élevée de la ville », a déclaré Husam. « Dans les parties inférieures, je ne pense pas que quiconque ait survécu aux cinquième ou sixième étages. Je pense qu’ils sont tous morts. Que Dieu ait pitié de leurs âmes. »
Selon le Croissant-Rouge, environ 11 000 personnes sont désormais mortes dans les inondations catastrophiques qui ont frappé la Libye à la suite de la tempête Daniel. Le maire de Derna a prévenu que 20 000 personnes pourraient avoir perdu la vie.
L’inondation a été déclenchée par la rupture de deux barrages à l’extérieur de Derna, déversant un torrent d’eau dans le centre-ville.
« Derna a été divisée en deux par l’eau et tout le reste a disparu », a déclaré Rahma Ben Khayal, une étudiante de 18 ans qui a réussi à se mettre en sécurité sur un toit de la ville. « Les gens entre les deux sont tous morts », a-t-elle déclaré.
Le torrent qui a emporté des rues entières avait commencé un jour plus tôt, sous forme de pluie légère.
Ce n’était pas effrayant au début, a déclaré Amna Al Ameen Absais, une étudiante en médecine de 23 ans née et élevée à Derna, qui est la tutrice de ses trois jeunes frères et sœurs après le décès de ses deux parents suite à une maladie.
Tandis que les gouttes de pluie tambourinaient dehors, les quatre frères et sœurs étaient assis dans leur appartement du premier étage des Beach Towers, un immeuble de sept étages situé à côté du front de mer, jouant à des jeux et faisant défiler leurs téléphones. Ils ont habillé son jeune frère avec un gilet de sauvetage et ont ri.
Mais à mesure que la nuit de dimanche avançait, la pluie devenait plus forte. Des sirènes retentirent. Les frères et sœurs ne parvenaient pas à dormir.
« Cela a vraiment commencé vers 2h30 du matin », a déclaré Amna lors d’un entretien téléphonique depuis la ville voisine de Tobrouk. « Le bruit devenait beaucoup plus fort. Mon frère a dit qu’il pouvait voir de l’eau recouvrir la rue. »
À mesure que l’eau montait, les voisins ont commencé à migrer à l’étage. Amna a attrapé le chat et quatre passeports et ils sont montés de leur appartement du premier étage à un appartement du troisième étage. « Les gens regardaient dehors dans le noir et priaient », a-t-elle déclaré. Puis l’eau atteignit le troisième étage. « Tout le monde a commencé à crier. Nous sommes remontés, au cinquième étage et enfin au septième étage. »
La panique s’était installée. « J’ai perdu le chat », a déclaré Amna. « J’ai perdu mon petit frère pendant une minute, puis je l’ai retrouvé. J’ai réalisé que nous ne pouvions même pas rester au septième étage, nous devions aller sur le toit. »
De là, ils pouvaient apercevoir des voisins sur le toit d’un immeuble de trois étages en face, dont une famille avec laquelle ils étaient amis. Les voisins brandissaient la lampe torche de leur téléphone. Quelques instants plus tard, tout leur bâtiment s’est effondré dans l’eau, dans l’obscurité.
« C’était comme un tremblement de terre », a déclaré Amna. « Cette famille n’a toujours pas été retrouvée. Leur fils les recherche. Nous lui avons dit que nous avions vu leur immeuble s’effondrer sous nos yeux. »
Certains membres de la famille d’Amna sont également portés disparus. Son oncle, sa femme et leurs trois fils vivaient dans un immeuble voisin qui s’est effondré. « Notre dernier appel était vers 21 heures, il appelait pour s’assurer que tout allait bien », a-t-elle déclaré. « Depuis, nous n’avons plus eu de nouvelles de lui. »
Finalement, Amna a pu s’échapper du bâtiment avec ses trois frères et sœurs, après que les eaux de crue aient baissé. Sa rue avait complètement disparu. « C’était comme si la terre s’était ouverte », a-t-elle déclaré. « Il ne reste qu’une cavité à l’endroit où se trouvait la rue. »
Une voisine qu’elle connaissait a glissé et a disparu dans l’eau devant eux, son mari et son fils étant incapables de la sauver, a expliqué Amna. Elle a appris que sa meilleure amie, Aisha, n’avait pas survécu.
Amna et ses frères et sœurs ont marché pendant des heures vers des hauteurs, croisant des cadavres sur le chemin. Le bilan des victimes de la catastrophe semble devoir s’alourdir considérablement. Husam Abdelgawi, le comptable, a déclaré avoir déjà dénombré au moins 30 amis parmi les morts, et plus de 200 connaissances. « C’est un miracle que j’aie survécu », a-t-il déclaré.
Les dégâts causés à Derna elle-même sont catastrophiques. Des quartiers entiers ont été détruits. De nombreux survivants attendent désespérément des nouvelles de leurs proches. D’autres pleurent les morts et Derna.
« Je ne pense pas pouvoir un jour y retourner », a déclaré Amna. « Ces rues étaient toute ma vie. Nous connaissions tous les coins de la ville. Maintenant, elles ont disparu. »
