Délinquant, homme d’affaires, magnat des médias, tribun populiste, mercenaire et mutin repenti, l’associé de l’ombre de Vladimir Poutine a été tué dans le crash de son avion le 23 août.
Le 10 janvier 1775 (21 janvier selon le calendrier grégorien), lorsque les autorités tsaristes ramènent à Moscou le chef rebelle Emelian Pougatchev, le message qu’elles souhaitent faire passer est clair : pour avoir prétendu au trône impérial, l’ancien officier cosaque qui s’est retourné contre ses maîtres doit subir un châtiment exemplaire. Exposé dans une cage sur la place Bolotnaïa, dans le centre de la capitale, le mutin est décapité avant que le bourreau ne tranche à la hache chacun de ses membres et les accroche aux roues d’une charrette.
Les temps ont changé, certes, mais la fuite sur les réseaux sociaux, dès le soir du mercredi 23 août, d’images de corps carbonisés dans le crash de l’avion transportant le mutin Evgueni Prigojine, ne doit rien au hasard. Au moins l’un d’entre eux, précisent les canaux liés au pouvoir, a la tête coupée.
Il y a d’autres parallèles, dans le parcours sanglant de ces deux figures aussi opportunistes qu’illuminées : les serfs qui suivirent Pougatchev évoquent les détenus que Prigojine tira de leurs prisons pour les envoyer combattre en Ukraine ; la jacquerie du cosaque résonne avec l’écho important rencontré par le discours anti-élites de l’homme d’affaires pétersbourgeois. Le premier a atteint le statut de légende après sa mort ; le second avait, lui, commencé à écrire la sienne de son vivant.
Langage volontiers ordurier
Jeune, Evgueni Prigojine rêvait d’un destin de champion olympique ; il deviendra le prototype de l’aventurisme politique. Né le 1er juin 1961 à Leningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg), il intègre l’internat sportif n° 62, où il pratique le ski de fond, entraîné par son beau-père, Samouil Fridmanovitch Jarkoï. A cette époque, en Union soviétique, le sport est encensé pour ses vertus éducatives en même temps qu’il permet de faire la promotion, à l’étranger, du régime, à travers ses athlètes. Pour les gamins d’origine modeste, comme Prigojine, élevé par sa mère et sa grand-mère – il n’a pas connu son père, mort prématurément –, c’est une échappatoire. Dans la même ville, le judo offrira à Vladimir Poutine, de neuf ans son aîné,